Myung Soo vient prendre Ihn Kyang sur ses genoux, appuyant le dos du petit garçon contre son torse avant de lever une main au visage du poupon pour retirer les grosses larmes qui lui roulaient sur les joues. Avec douceur il le câline, murmurant quelques petits « shhht » pour tenter d’apaiser le petit garçon au chagrin inconsolable. Sur la table basse du salon il récupère une compresse stérile et un peu de désinfectant, assurant alors que son bébé hoquette :

- Ca ne pique pas.

Il a un sourire et finalement, tranquillement, il commence à nettoyer la plaie. La joie des enfants qui crapahutent partout et qui finissent par tomber. Bien sûr qu’il s’était inquiété, sur le moment, mais Ihn Kyang allait bien alors rien ne servait de lui faire peur en ayant l’air plus catastrophé que la blessure ne le réclamait. Les enfants ça tombe, c’est comme ça. Et il ne s’agissait que d’un genou écorché.

- Demain tu iras montrer comme un grand ta blessure de guerre à Dakota.

Ihn Kyang hoquette encore un peu mais acquiesce avant de demander en geignant s’il allait lui dire qu’il avait pleuré ! Myung Soo hoche négativement la tête amusé parce que cette scène lui en rappelait soudainement une beaucoup plus ancienne. En fait, jusqu’à cet instant précis, il n’en avait pas réellement eu souvenir. C’était l’été, à Incheon, et cette année là il avait été particulièrement caniculaire. Lui-même devait avoir l’âge d’Ihn Kyang aujourd’hui, c'est-à-dire qu’il avait cinq ou six ans. On était dans le début des années 1990 et à l’époque la grande mode de son quartier c’était les courses de vitesse en bicyclette. Ces engins lui avaient toujours fait un peu peur mais son père et sa mère avaient vraiment voulu lui faire plaisir en lui achetant un tout neuf et sans petites roulettes.

Son père était maçon, il travaillait dur et toute sa personne avait toujours porté sur son visage et ses épaules les signes d’un dur labeur. Sa mère était couturière. Ha, ils étaient peut être dans une ville du progrès mais leur petite famille avait tout de la famille ouvrière des années soixante. Myung Soo était fils unique même si la fausse-couche de sa mère, quelques mois avant ce souvenir, aurait bien prétendu du contraire.

A l’époque déjà il était un petit garçon très vivant quoi que moins qu’Ihn Kyang ! Il se souvenait un peu plus clairement de cet été là à présent… Des rues gorgées de soleil, des bombes à eau qu’ils fabriquaient avec des poches plastiques, du vélo rutilant et de la tendresse familiale. Il se souvenait aussi du goût de la glace à la pistache et au spéculos chez son glacier préféré et de sa fierté à l’idée que bientôt il rentrerait dans l’école des grands.

Myung Soo sort un instant de ses pensées, remettant son petit bout de chou sur ses pieds et lui demandant de se retourner vers lui. Il détache un pansement de leur protection pour venir le poser avec soin sur le petit genou meurtrit et saisissant un crayon pour la peau, il demande :

- Qu’est-ce qu’on dessine aujourd’hui, mon bébé ?

Ihn Kyang renifle un peu et finit par bredouiller qu’il voulait un loup. Myung Soo réfléchit une seconde, devant s’admettre qu’il n’était un pas très grand dessinateur avant de demander à l’enfant de s’assoir pour qu’il puisse bien faire. Avec douceur et patience, il entreprend de dessiner tout autour du pansement ce qui devrait ressembler à un loup.

Le dessin c’était pas sa tasse de thé. Lui il était plutôt porté sur la photographie. Ca l’avait emporté très tôt, alors qu’il devait avoir onze ou douze ans. Ses parents s’étaient saignés pour lui offrir, au moment de son anniversaire, un super argentix qu’il possédait d’ailleurs encore. Les pellicules coûtaient cher à l’époque et dieu seul savait combien de pelouse il avait tondu ou de chiens il avait sortit pour pouvoir se les payer. Le débarras de sa mère servait une à deux fois par semaine de chambre noire improvisé et depuis lors, il avait vécu les révolutions technologique soit avec fascination, soit de manière beaucoup plus dubitative, mais toujours avec beaucoup d’intérêt…

Il avait même finit par en faire son métier, des années plus tard, après des études en photographie, évidemment. Myung Soo avait commencé dans une petite agence qui avait de petits contrats avec des agences de mannequins pas très reconnu. Le hic c’est que les portraits ça ne l’avait jamais vraiment fait vibrer. Sauf qu’il fallait bien payer les factures, n’est-ce pas ?

Son fils s’exclame que le dessin est vraiment chouette et Myung Soo a un sourire attendrit pour son bébé. C’était chouette d’être son père parce que dans son regard, tout ce qu’il faisait semblait être extraordinaire. Même les loups qui ressemblaient à quelque chose allant de l’ours au pingouin.

Ha, son bébé… Il avait gagné son premier concours de photographie lorsqu’il avait rencontré sa mère. Tout comme lui il s’agissait d’une passionnée de la photo à ce détail près qu’elle était déjà à son propre compte depuis un long moment déjà. Chae Rin avait vingt-huit ans à cette époque et lui pas tout à fait vingt. Il était tout juste diplôme, faisait ses photos de mannequins sagement et photographiait paysage et scène anecdotiques seulement pour son bon plaisir à cette époque. Peut être que ça a été le coup de foudre… Avec le recul, il n’est plus très sûr. C’est qu’à l’époque, il avait le regard d’un jeune homme à peine sortit de l’adolescence sur ce genre de relation.

Leur amour avait été mêlé de photographie en sépia et de projets photo grandeur nature. Elle était tombée enceinte sans qu’ils réalisent bien ce que ça signifiait, peut être. A l’époque il se trouvait trop jeune, peut être pas prêt… Mais il était un éternel utopiste un peu hippy sur les bords niveau décision et Chae Rin était une idéaliste, elle aussi. Alors ils avaient eu ce bébé… Et ils avaient même prévu de se marier, un peu plus tard. Sauf que ce que la vie donne, elle peut aussi le reprendre.

Chae Rin fut atteinte du syndrome de dépression post-natal. Ce fut difficile pour leur couple très jeune. Il voulait qu’elle se fasse aider, elle niait le problème… Et lorsqu’elle faillit presque noyer leur bébé d’à peine un an lors de son bain, Myung Soo décida qu’il était temps de mettre un terme à une situation qui leur échappait à tout les deux, et ce pour le plus dramatique des scénarios.

Au début il la quitte simplement elle… Mais sa vie devient un enfer. Elle noircit le tableau, noie sa réputation auprès des magazines pour lesquels il commençait enfin à faire des couvertures et réclame par caprice la garde de leur fils. Les procédures judiciaires remplacent l’entente et bientôt, ils ne se voient plus sans la présence de leurs avocats.

Inutile de dire qu’à l’époque son ex fiancée a plus de moyen financier à sa disposition que lui. Et pourtant, tragiquement, un accident de voiture vient tout changer. Chae Rin ne décède pas dans l’accident non… Mais elle finit dans un état semi-végétatif. Le choc est difficile et même s’il n’avait plus d’amour pour elle, la peine ressentit est violente et pénible à supporter. Son travail ne lui convient plus, ses ambitions prennent d’autres aspects et Myung Soo réalise qu’il veut sortir du carcan coréen. Alors sur un coup de tête, entre cours de spécialisation en anglais à mi-temps et démarches administrative fastidieuse, il demande son droit de séjour aux Etats-Unis.

C’est comme ça qu’il met le pied à Forks, non sans avoir eu des mois et des mois d’attente avant que ses demandes n’aboutissent. Là il se fait à nouveau sa petite réputation quoi que ce ne soit pas « dans » Forks même. Il a un site internet en réalité pour exposer ses meilleurs clichés. Une sorte de curriculum vitae en ligne et en images. Il travail de manière indépendante pour différents sites ou journaux, prenant des contrats réguliers mais qui forcément influent sur les fonds de chaque mois. Heureusement pour lui, il ne fait pas disette et se permet même le luxe de quelques expositions alors s’il n’est ni pauvre ni riche, c’est qu’il vit de manière discrète et modeste, regardant à la dépense sans non plus nuire à ses besoins et à ceux de son fils.

A Forks il s’est fait quelques amis depuis deux ans qu’il est installé. Outre les parents d’école qu’il croise, il a aussi quelques amis un peu plus jeunes, avec lesquels il peut se lier plus facilement. Et puis il y a Dakota, qu’il a un jour prit en photo dans une réserve, un peu par hasard. Leurs deux regards se sont croisés, par-dessus l’appareil, et il semble que ça a été le déclencheur de leur amitié. S’il croyait un peu aux mythes amérindiens, Myung Soo serait certain que leur complicité tiens de là. Parce que plus qu’un ami il est devenu le meilleur, un vrai soutient. En fait, pour être plus juste, il semble parfois à Myung Soo que Dakota s’est littéralement imposé dans sa vie. Mais ça lui va comme ça, au fond… Il a vite comprit que ça ne servait à rien de lutter contre ça. Il est un ami mais il semble porter toutes les casquettes : celle de nounou quand il en a besoin, de second père pour Ihn Kyang lorsqu’il faut, de model parfois, de confident… Et c’est forcément bon de se sentir soutenu…

Myung Soo range le nécessaire de soin dans sa petite trousse, acquiesçant alors qu’Ihn Kyang lui demande s’il peut retourner jouer.

Peut être qu’on ne devrait jamais grandir… Pour que même ce qui est moche et fait mal disparaisse de nos considérations, le temps qu’on dessine un loup raté sur notre genou…