Parfois l’on peut passer sa vie à ne connaître aucune peur, jusqu’au jour où elle se présente en compagnie de la mort

L’endroit était sombre, infesté de toutes genre de créatures. Qu’il s’agisse d’énorme rats ou encore de corps qui avaient un certain air inhumain. Des visages trempés par des larmes, des corps ensanglantés par dieu seul sait quel traitement subit. Les pavés laissaient rapidement place à de la terre, l’air était infecte. Répugnant et incitant à vouloir ne plus respirer. Mais le plus effrayants étaient bien les gardes qui se trouvaient de temps en temps aux portes des cachots. Armés de fouets ou bien pire encore, il y avait quelque chose, quelque chose d’étrange qui semblait les entourés. Quelque chose d’horrifiant, qui poussait à fuir au plus loin ses hommes. Mais ce n’était à l’instant quelque chose qu’elle pouvait se permettre. Un homme lui tenait fermement le bras, s’en était douloureux, car il semblait refermer sa prise à chaque pas. Comme si elle tenterait encore de fuir.

Elle voulait fuir. Elle voulait courir, encore et encore, sans jamais s’arrêter ou encore regarder par-dessus son épaule. Elle voulait qu’Alec lui tienne la main et la pousse à courir encore plus vite. Mais il n’en fut rien. Son corps avait déjà été roué de coups et elle se demandait qu’elle miracle lui permette de marcher. Néanmoins, l’homme qui la tenait la trainait derrière lui. Ses jambes ne semblaient pas savoir la faire avancer assez vite. Elle essayait de garder en vue Alec, de ne penser qu’à lui. Tous deux savaient à présent que la suite serait inévitable. Alors, ils se laissaient emporter par les gardes pour être jeté dans un cachot. Mieux valait ça que de recevoir des coups à ne plus savoir se relever. Ils arrivèrent enfin dans un des endroits les plus sombres. Et c’est alors qu’elle se rendit compte, horrifié, qu’on l’éloignait d’Alec. Son frère. Ils n’allaient pas être dans le même cachot. Les jumeaux s’en rendaient compte au même moment. Et simultanément, tous deux se mirent à hurler et à se débattre des gardes qui les tenaient et le séparaient. Elle sentait toutes ses forces lui revenir, la panique s’ajoutait à sa frayeur, lui donnant le courage de lever la main sur le garde. Il ne s’y était visiblement pas attendu, car d’un simple geste du bras, elle put se libérer de lui. Se tournant, elle tenta alors de rejoindre son jumeau. Malheureusement, elle n’avait pas remarqué la présence d’un deuxième garde. Elle fonça droit sur lui, déterminée à rejoindre sa moitié, quitte à devoir se jeter sur l’homme pour arriver à ses fins. Elle ne réfléchissait pas, agissant par simple automatisme. Quand les bras de l’homme vinrent se refermer sur son corps, elle se débattit, une nouvelle fois. Mais la voix de la raison vint presque se moquer d’elle. Que croyait-elle donc pouvoir faire face à un homme adulte ? Rien. Elle ne pouvait rien faire, mais une telle logique ne l’arrêterait pas. Prise au piège, elle fit ce qui lui vint à l’esprit sans se poser de question. Et alors qu’elle mordit l’homme de toutes ses forces, le goût du sang venant toucher le bout de sa langue. Il la lâcha, elle le poussa contre le mur et voulu une nouvelle fois s’élancer vers son jumeau.

Son visage fût le premier à rentrer en contact avec le sol. Elle sentit du sang couler hors de sa bouche, mais ce n’était pas celui de l’homme qu’elle venait de mordre. La douleur ne l’arrêta pas non plus et elle pouvait sentir la main d’un des gardes entourant sa cheville. Hurlant de rage, elle voulut se tourner, espérant lui donner un coup de pied au visage. Ou pas. Il fallut un troisième garde pour savoir la maîtriser et la jeter dans un cachot. Une enfant de treize ans qui ridiculise des hommes adultes. Ou du moins, ils se sentaient ridiculisé face à elle, alors qu’elle était désespérée et que tous ses instincts la poussaient à se débattre de toutes ses forces. Mais elle ne s’en rendit compte que le lendemain. N’ayant aucune idée d’où elle se trouvait exactement, si le cachot où se trouvait son jumeau était loin ou non. Dans une pièce sombre, humide et empestant la mort. Le pire était bien d’être séparé de sa moitié. Le pire était de ne pas savoir s’il allait bien. Au fond d’elle, elle savait qu’il n’était pas mort. Elle aurait préféré l’avoir auprès d’elle. Ou du moins, c’est ce qu’elle croyait. Deux gardes vinrent alors dans son cachot. Elle crut d’abord qu’ils venaient la chercher. Mais bien sûr, la réalité vint bien vite surpasser sa naïveté. Ils avaient été accusés de sorcellerie. Et même si personne n’en avait rien à faire de leurs aveux, car sans ou avec ils allaient quand même être tués, le prêtre insistait qu’il y ait bel et bien des aveux. Ainsi, leurs âmes pourraient retrouver la paix au paradis. C’est ce jour-là, bien qu’elle n’ait jamais cru en Dieu, qu’elle se rendit compte que non, Dieu n’existait vraiment pas.

Elle ne savait pas ce qui était pire. Les coups tombaient, tel une pluie un matin d’automne. Au début, elle avait tenté de se défendre, ensuite, elle s’était contentée de mettre ses mains en avant. Et pour finir, elle était couchée au sol et n’avait même plus l’énergie d’exprimer sa douleur. Elle avait mal, partout. Elle était allongée sur son dos, sentant vaguement des picotements désagréable alors que la terre vint s’incruster dans les blessures s’y trouvant. Elle ne sentait plus ses mains, car ils lui avaient brisés tous les doigts d’un côté et que l’autre avaient subi des coups. Elle avait du mal à respirer, car chaque respiration était comme un coup de couteau dans la poitrine. Dans le noir, la nuit et le jour n’avaient plus aucune importance. Et tombant dans un sommeil profond mais à la fois léger, elle oublia la présence des rats, les hurlements l’entourant ou encore la température glaciale. Les jours passaient, sans qu’elle ne les compte. Elle sait qu’après les coups, d’autres coups vinrent s’ajouter aux précédents. Qu’ensuite, visiblement, elle aurait dû au moins garder ses forces pour se débattre face aux gardes qui eux ne frappaient pas. Ça, c’était bien ce qui était pire que tout. Sa voisine lui avait un jour raconté ce que les gens avaient fait à sa sœur, qui avait été accusée de sorcellerie. Et à l’époque, elle avait trouvé tout cela barbare mais invraisemblable. Même si elle n’avait pas la croyance de ses parents, on lui avait toujours dit que les hommes croyants étaient des gens de bien. Elle avait cru une partie de l’histoire, celle qui racontait la mort douloureuse de cette femme. Mais l’autre partie, elle y avait cru tout en se disant que ce n’était que mensonge, pour rendre la chose plus terrifiante. Mais il n’avait jamais été question de mensonge, seulement question de vérité et de cruauté. Et les hommes, ces gardes, n’en avaient visiblement rien à faire qu’elle ne soit pas une femme adulte. Ils ne faisaient pas la différence et elle s’en était bien rendu compte, encore plus après leur avoir hurlé dessus, leurs disant que s’ils la touchaient encore une fois elle leur jetterait un sors. C’était stupide de dire ça, mais cela avait bien été sa dernière parole depuis.

Ses joues étaient trempées. Son regard était perdu, vide. Elle ne voyait rien et pourtant, elle faisait l’effort d’ouvrir les yeux. De peur que si elle les referme, ils reviendraient. Pourtant, la douleur physique n’était rien. Elle avait constamment l’impression que son cœur allait exploser, que quelqu’un serrait ce muscle dans sa poitrine. Elle pensait à son frère. Elle pensait à lui et seulement à lui, alors qu’au fin fond de son être, une colère noir et dévastatrice vint voir le jour. Colère qui se manifesta le jour J, alors que leur sentence était tombée. Elle pu enfin quitter ce cachot, ses jambes ne la portaient quasiment pas. Ses vêtements étaient déchirés et tacheté de sang et de terre. Elle tremblait, de peur, de fatigue mais surtout d’appréhension. Son corps était épuisé, affamé et assoiffé. Certes, elle reconnut les couloirs qu’elle avait précédemment empruntés, qui la mèneraient vers son frère.

Effectivement, elle ne s’était pas trompée. Ils allaient mourir, mais ça, ça n’avait soudainement aucune importance. Elle arrivait près de son cachot, d’où les gardes venaient de le sortir. Ils ne s’étaient plus vus depuis une semaine, mais c’étaient une semaine qui avait eu l’air d’une éternité. Les jumeaux vinrent se serrer l’un contre l’autre. Mais tous deux à bout de forces, les gardes n’eurent aucun mal à les séparer et à les faire avancer.
La lumière du jour l’aveuglait. Pas assez pour lui faire perdre de vue sa moitié. Mais dès qu’elle pu se rendre compte de la gravité de la situation, son cœur s’arrêta presque. Choquée, son regard se promena de gauche à droite. Il y avait des dizaines de villageois, tous objets en main prêt à leur jeter dessus. Hurlant des mots tel que ‘monstres’, ‘sorciers’ ou encore ‘enfants du diable’. Mais son regard se posa sur un bûcher, qui n’attendait qu’eux. Si elle avait cru avoir peur, alors non, elle maintenant elle était tétanisée. Ses yeux étaient envahis par la peur, cherchant désespérément une sortie de secours. Mais quand les regards des jumeaux se croisèrent, tout espoir s’envola.

Cette fois-ci, alors qu’elle se débattait avec le peu de force qu’il lui restait, ce n’était pas dans le but de fuir. C’était dans le but de faire du mal à ceux qui l’empêchaient de se rapprocher d’Alec, au moins une fois encore avant d’être brulée vive. Mordant, crachant et assénant des coups sans aucune pitié, elle les insultait de tous les noms. Eux et leur satané Dieu. Ils eurent du mal à savoir la maîtriser, ils eurent peur en voyant la folie dansante dans son regard. En entendant les sorts, bien évidemment inventés, qu’elle leur lançait. Quitte à mourir pour acte de sorcellerie, autant au moins en avoir fait preuve. Mais dès qu’elle fût solidement attachée, elle ne détacha plus son regard de son jumeau. Ignorant les flammes qui vinrent bientôt dévorer les branches à ses pieds, elle sentit des larmes lui couler sur les joues. Voir son jumeau mourir de la sorte était encore pire qu’endurer le supplice elle-même. Son cœur de déchira, se brisa en mille morceaux en voyant les flammes s’approcher dangereusement d’Alec. Tout en même temps, elle sentit cette chaleur d’abord agréable mais ensuite douloureuse se répandre sur sa peau. « Je t’aime. » Il ne pouvait pas l’entendre, mais qu’importe. Ils étaient jumeaux, c’était suffisant. Et tout comme il l’avait dû le faire, Jane pu comprendre ce qu’Alec dit en suivant le mouvement de ses lèvres. Et si elle pleurait, c’était bien parce que dans la mort, elle n’était pas certaine d’être avec lui. Sans lui, elle ne souhaitait aller nulle part. Sans lui, elle préférait ne plus exister.

Aucun hurlement ne s’échappa jamais de sa gorge, pourtant, elle dû mordre plus d’une fois sur sa langue. La douleur était insoutenable. La colère l’envahissait, comme encourager par le supplice qu’elle subissait, que son jumeau subissait à cause de ces stupides villageois. Elle les détestait, tous, elle les maudissait à mourir, bruler, comme eux pour connaître ce calvaire. Pour connaitre la même fin qu’eux. Avant de s’évanouir sous l’intense chaleur des flammes et la douleur qui en naissait, elle pu entendre des cris. Et peut-être, oui, peut-être qu’ils mourraient tous aussi. Peut-être que la silhouette vêtue de noir qui s’abattait sur elle était nul autre que le diable. Et alors, sa dernière pensée fût telle.

Si le diable venait à son secours ainsi qu’au secours de son frère, s’il leurs permettait de rester ensemble, d’être éternellement les jumeaux Alec et Jane, alors, oui, alors elle le servirait jusqu’à la fin de son existence.

Elle ne s’était jamais imaginée que cette pensée ne relevait pas de l’impossible.